Dans notre quête de bien-être, nous sommes souvent confrontés à une idée reçue tenace : pour aller mieux, il faudrait d’abord éliminer notre souffrance. Que ce soit une douleur physique chronique, une émotion difficile ou une pensée perturbante, notre premier réflexe est souvent de lutter contre ces expériences. Mais que se passe-t-il quand cette lutte devient elle-même source de souffrance ?
L’acceptation n’est pas la résignation
Commençons par clarifier un malentendu fréquent. Accepter ne signifie pas se résigner, abandonner ou capituler. La résignation est passive : elle implique de baisser les bras face à une situation jugée sans issue. Elle s’accompagne souvent d’un sentiment d’impuissance, de défaite, voire d’amertume.
L’acceptation, à l’inverse, est une démarche active et courageuse. C’est reconnaître la réalité telle qu’elle est, sans lui résister, mais sans pour autant renoncer à agir ou à évoluer. L’acceptation nous invite à accueillir pleinement notre expérience présente pour mieux nous en libérer.
Comme l’exprime si justement le paradoxe central de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) : c’est souvent en renonçant à contrôler ce qui ne peut l’être que nous retrouvons notre liberté d’action.
Pourquoi l’évitement ne fonctionne pas sur le long terme
Notre tendance naturelle à éviter la souffrance est compréhensible, mais elle peut se transformer en piège. Prenons l’exemple d’une douleur chronique : plus nous la redoutons, plus nous limitons nos activités, ce qui peut entraîner déconditionnement physique, isolement social et détresse émotionnelle. La lutte contre la douleur devient alors plus handicapante que la douleur elle-même.
Il en va de même pour nos pensées et émotions difficiles. Tenter de les supprimer ou de les éviter ne fait souvent que renforcer leur emprise sur nous. Comme le dit l’adage : « Ce à quoi nous résistons persiste. »
L’acceptation comme présence bienveillante
La pleine conscience nous offre une alternative précieuse : être présent à notre expérience avec curiosité et bienveillance, sans jugement. Cette présence attentive nous permet de créer un espace où nos sensations, émotions et pensées peuvent exister sans nous définir ni nous submerger.
Concernant spécifiquement nos pensées, l’acceptation implique de reconnaître leur nature transitoire. Nos pensées ne sont pas des faits, mais des événements mentaux qui apparaissent et disparaissent. Lorsqu’une pensée douloureuse ou anxiogène surgit, l’acceptation consiste à l’observer sans s’y identifier, sans la combattre ni la poursuivre.
Imaginez vos pensées comme des feuilles flottant sur une rivière. L’acceptation consiste simplement à les regarder passer, sans plonger pour les attraper ou les repousser. Cette posture de « témoin bienveillant » face à notre dialogue intérieur nous aide à ne plus être prisonniers de nos ruminations ou de nos scénarios catastrophes.
L’acceptation des pensées ne signifie pas qu’on les approuve ou qu’on les considère comme vraies. C’est plutôt reconnaître qu’elles sont là, les accueillir avec bienveillance, puis leur permettre de poursuivre leur chemin sans nous retenir.
Dans cet espace d’acceptation, nous découvrons que nous sommes plus grands que notre souffrance. La douleur est là, mais nous ne sommes pas que douleur. La peur est présente, mais nous ne sommes pas que peur. Les pensées négatives surgissent, mais nous ne sommes pas nos pensées. Cette distinction subtile mais fondamentale est libératrice.
L’acceptation en pratique
Comment cultiver cette acceptation au quotidien ? Voici quelques pistes :
- Observez sans juger : Remarquez vos sensations, émotions et pensées comme vous observeriez des nuages dans le ciel, sans chercher à les retenir ou à les chasser.
- Accueillez ce qui est : Plutôt que de vous dire « Je ne devrais pas ressentir cela », essayez « Je remarque que je ressens cela maintenant, et c’est ok ».
- Identifiez vos valeurs : Qu’est-ce qui compte vraiment pour vous ? Quelles directions souhaitez-vous donner à votre vie, indépendamment de vos difficultés actuelles ?
- Agissez en accord avec ces valeurs : Même en présence de douleur ou d’inconfort, quelles petites actions alignées avec vos valeurs pouvez-vous entreprendre aujourd’hui ?
L’acceptation comme point de départ, non comme destination finale
L’acceptation n’est pas une fin en soi, mais un point de départ. Elle nous libère de l’engrenage de la lutte contre nous-mêmes pour nous permettre d’investir notre énergie dans ce qui compte vraiment pour nous.
Dans le cas d’une douleur chronique, par exemple, l’acceptation ne signifie pas renoncer à chercher du soulagement, mais cesser de conditionner notre vie à la disparition totale de cette douleur. Elle nous invite à vivre pleinement, avec la douleur plutôt que malgré elle.
Conclusion
L’acceptation est peut-être l’un des paradoxes les plus féconds de notre existence : c’est en cessant de lutter contre certaines réalités que nous retrouvons notre capacité d’agir et de nous transformer. Comme le suggère le philosophe Épictète : « Ne cherche pas à ce que les événements arrivent comme tu le souhaites, mais souhaite qu’ils arrivent comme ils arrivent, et tu seras heureux. »
Cette sagesse millénaire, aujourd’hui confirmée par les approches thérapeutiques contemporaines comme l’ACT et la pleine conscience, nous rappelle que notre liberté réside moins dans le contrôle des circonstances que dans notre façon d’y répondre.
L’acceptation n’est pas abdication, mais courage et lucidité – le courage de voir les choses telles qu’elles sont et la lucidité de choisir comment y répondre.